Centre International
d'Étude du Sport

Avenue DuPeyrou 1
2000 Neuchâtel
Suisse
Tél +41 32 718 39 00

Actualités

ven. 06 septembre 2013

Interview du Professeur Christophe Jaccoud, sociologue du sport au CIES

Pourriez-vous tout d'abord nous parler de vous et de votre parcours professionnel?

Je suis lausannois, et c’est dans cette ville que j’ai suivi des études de lettres et de sociologie dans les années 1980, avec déjà un premier décrochage par Neuchâtel puisque j’ai fait une année d’ethnologie à cette même période. Mes intérêts, à l’orée de mes études, m’orientaient surtout vers la philosophie et la littérature, mais les maîtres croisés à cette époque partageaient encore des approches scolastiques de ces disciplines. Ces déceptions ont alors suscité des envies de grand air et de fenêtres ouvertes, que l’étude ultérieure de la sociologie a su combler. J’ajoute encore, à propos de cette ré-orientation, que j’appartiens sans doute à la dernière génération pour laquelle le choix des sciences sociales correspondait pour une certaine part à un engagement, sinon politique, du moins « critique ».

Par vocation, mais aussi par la bienveillance du hasard, j’ai eu la chance de rapidement rentrer dans le métier de chercheur, un apprentissage que j’ai effectué à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, au sein du Laboratoire de sociologie urbaine. C’est d’ailleurs aussi là, dans un milieu scientifique tourné vers l’étude de la ville, que je suis venu à m’intéresser au sport. Plus précisément, c’est l’intérêt porté aux pratiques de glisse urbaine, telles que le roller et le skate, et la manière dont les autorités des villes affrontaient ces nouvelles pratiques libertaires et juvéniles, qui m’ont amenés à la sociologie du sport.

Cet intérêt a fait boule de neige et a entraîné un certain nombre de conséquences. La première conséquence a été de vouloir fédérer celles et ceux qui avaient les mêmes intérêts en Suisse : il en sorti la création d’un comité de recherche aujourd’hui reconnu et intégré au sein de la Société suisse de sociologie. La deuxième conséquence a été la rédaction d’une thèse de doctorat, effectuée et soutenue à l’EPFL. La troisième conséquence, qui est en quelque sorte la synthèse des deux premières, aura été de « me rendre visible » dans un domaine où la densité des chercheurs est encore assez faible. Une visibilité qui a abouti à ce que l’on me propose de rejoindre le CIES en 1996 déjà, pour y animer le pôle de recherche en sociologie.

C’est donc à Neuchâtel que se déroule aujourd’hui ma vie professionnelle, entre des activités de recherche au CIES et une activité de professeur associé à la Faculté des lettres et sciences humaines.

Quels liens avez-vous avec le monde du sport?

A la différence d’une large majorité de sociologues du sport, et je pense en particulier aux collègues français, je ne suis pas issu du sport et je n’ai jamais connu l’expérience d’une pratique sportive intensive, tournée vers la performance. Autrement dit, je ne dois rien à ce milieu et je n’ai pas de lien, d’affect ou de sentiment, qui pourrait nourrir un amour du sport, qui pourrait influer sur l’orientation de mes travaux. Je pense en revanche que le sport comme pratique et comme institution est un belvédère particulièrement dégagé pour penser des dynamiques reconnues comme particulièrement expressives du monde contemporain. Je pense à des phénomènes de violence, aux rapports entre les hommes et les femmes, au poids des forces du marché, à l’usage des corps etc.

Quel est votre sportif préféré et pourquoi?

J’ai envie de reformuler la question sur le mode de l’imparfait, dans la mesure où l’investissement affectif que l’on peut porter à des sportives ou à des sportifs est soumis à une condition impérative : croire qu’ils appartiennent à une humanité supérieure. En toute bonne logique, cette croyance n’est pas durable au-delà de l’enfance et elle est, hélas, appelée à se dissoudre avec d’autres candeurs du même ordre.

Pour répondre à cette question, je dirai que, enfant, j’ai eu une idole, une véritable idole, un gardien de but qui s’appelait Mario Prosperi, qui gardait les buts de l’équipe suisse de football dans les années 1970, en même temps que ceux de Lugano. Une petite idole donc, mais qui avait quelque chose de discret et d’un peu opaque qui me plaisait beaucoup. J’ai aimé aussi, par la suite, dans le désordre et hors tout régime de cohérence, des champions aussi différents que le sprinter italien Pietro Mennea, qui faisait le virage du 200 mètres comme collé à la piste, puis le coureur cycliste américain Greg Lemond, ainsi qu’un nombre considérable de skieurs. Avec une mention particulière pour cette bande de descendeurs canadiens des années 1980 rangés sous le nom de « Crazy canuks », dont les prises de risque étaient légendaires, tout comme leur décontraction qui confinait au détachement.

Quels sont vos principales activités au sein CIES?

Si l’on excepte des excursions du côté du dopage et de la violence des spectateurs, j’ai envie de dire que le fil qui relie mes travaux et mes intérêts est constitué par la question du sujet sportif. Autrement dit, j’ai une curiosité particulière pour une question en apparence un peu simpliste, à savoir c’est quoi d’être un sportif aujourd’hui, dans un monde dans lequel les grandes institutions et les grandes structures d’autorité ont perdu de leur force. Et ceci d’autant plus quand l’on sait que, depuis une vingtaine d’années environ, une part croissante des personnes ne pratiquent plus dans le cadre traditionnel du club, et que ces mêmes personnes ne se reconnaissent plus, ou de moins en moins, dans des objectifs de compétition et de performance. Ou encore que la pratique sportive est de plus en plus creusée par des préoccupations nouvelles, comme la santé, comme l’affirmation d’une identité personnelle, etc, etc.

Pour être tout à fait complet, je peux dire que je mène aujourd’hui des travaux sur les pratiques sportives féminines, avec une curiosité particulière pour les pratiquantes engagées dans des contextes sportifs a priori masculins, en particulier le football.

Quels sont les objectifs à long terme du domaine de recherche du CIES?

J’aimerais rappeler d’abord que le CIES, en peu d’années, dans un paysage académique faisant encore une place modeste à l’étude sociale du sport, et surtout selon un cheminement très original, est aujourd’hui parvenu à un niveau de visibilité scientifique tout à fait important. A cet égard, et en ne considérant que la sociologie au sens large du terme, les travaux réalisés par mes collègues et moi-même nous ont permis d’opérer des jonctions avec des collègues étrangers qui démontrent une véritable reconnaissance des efforts fournis. Autrement dit, nous coopérons, nous échangeons, nous collaborons désormais à « armes égales » avec un nombre considérable de chercheurs étrangers. Principalement français, pour ma part. Cette accession aux grands forums de la sociologie du sport est, pour moi, un motif de satisfaction, puisque nous sommes partis de rien, mais aussi parce que nous continuons d’évoluer dans un milieu académique national dans lequel la légitimité scientifique du sport est encore vacillante.

L’enjeu est donc de préserver la durabilité du CIES comme institution de référence, ce qui veut dire, dans le domaine de la recherche, en produisant des connaissances, mais aussi à travers une politique de publication et de diffusion des savoirs rigoureuse en même temps qu’ouverte à la communauté scientifique, aux mondes du sport et à la cité. Je crois encore, pour ma part, que le CIES et ses chercheurs doivent absolument veiller à densifier leurs liens avec l’Université de Neuchâtel, à travers toutes sortes de collaborations, d’expérimentations et d’initiatives, en particulier à travers des missions d’enseignement et la mise en œuvre de projets communs et interdisciplinaires.

Ce site Internet utilise des cookies – limités à des cookies techniques et analytiques – afin de permettre votre navigation et améliorer votre expérience du site.

Pour plus d’informations, veuillez prendre connaissance de notre notice relative aux cookies et notre notice de confidentialité.

Je comprends